samedi 31 janvier 2009

L'un des sujets qui va exploser avec la crise

Alors que les entreprises et les politiques commencent à peine à se pencher sérieusement sur le phénomène des sites sociaux et du "Web 2.0" et à en considérer et mesurer ses implications pour eux mêmes et leurs institutions il est un autre enjeu d'intérêt à la fois mondial et local qui reste encore très largement méconnu des décideurs et du grand public et qui pourtant devrait faire l'objet de toutes les attentions surtout en cette période de crise systémique naissante.
Cet enjeu est celui de la monnaie ... plus exactement de la transition d'un système économique à monnaie unique et rare vers un système économique et social à monnaies multiples et complémentaires. Et oui ! difficile à avaler en Europe pour des décideurs qui ont tant oeuvré pour la mise en place d'une monnaie unique...
Pourtant il suffit de lire l'indispensable et brillant livre de Bernard LIETAER et Margit KENNEDY "MONNAIES REGIONALES" (paru sautomne 2008) pour se rendre compte que cela est indispensable non seulement pour sortir plus vite de la crise de notre système mais aussi pour transcender ce système et transformer les rapports humains.
Le livre est très riche mais il se lit d'une traite tant on apprend à propos des monnaies, de leur histoire et des expérimentations en cours dans de nombreux pays (en particulier le Japon). Les auteurs abordent aussi bien le pourquoi il faut des monnaies complémentaires que le comment les mettre en oeuvre tout en ayant l'humilité de dire que beaucoup reste à inventer et que les cartes sont dans les mains de "ceux qui expérimentent avec de nouvelles idées, qui bousculent l'indifférence, les préjugés, les habitudes et les clichés, qui provoquent les changements nécessaires dans notre monde pour éliminer la misère et la détresse qui nous entourent".
Voici quelques passages que j'ai particulièrement retenu (il y en aurait beaucoup d'autres et le mieux est de vous procurer l'ouvrage !) :

- Sur la globalisation vue par Georges Soros :
" Le commerce international et les marchés financiers globaux ont fait la preuve de leur capacité à créer de la richesse, mais ils ne sont pas en mesure de satisfaire un certain nombre de besoins sociaux. Parmi ceux-ci, on trouve le maintien de la paix, la réduction de la pauvreté, la protection de l'environnement, l'amélioration des conditions de travail,ou le respect des droits de l'homme: ce que l'on appelle, en somme, le bien commun."

- Sur les besoins d'une gouvernance nouvelle pour le 21ème siècle d'après Pierre Calame :
"Les systèmes actuels ont tendance à extraire beaucoup d'information d'une communauté, mais il est rare que ces informations lui soient rendues. Il sera donc nécessaire d'encourager la collecte et la diffusion de l'information appropriée à chaque échelle de gouvernance, y compris le local et le régional. De même, les autorités publiques doivent accepter et encourager la production autonome d'information aux différents niveaux parce que cela deviendra de plus en plus essentiel pour une démocratie fonctionnelle."

Tous les pays en voie de développement:
- "Nous n'assistons pas seulement à l'avènement, si souvent annoncé, de l'ère de l'information et de l'économie du savoir, nous commençons aussi à ressentir les effets de la fin de l'ère industrielle. C'est ainsi un problème de perspective qui se pose à nous tous, les pays dits "developpés" autant qu'à ceux en voie de développement. En bref, nous devons considérer tous les pays comme "en voie de développement" dans une ère postindustrielle."

Une globalisation qui détruit la diversité: (Jonathan Sacks)
- "Le monde n'est pas une machine. Il s'agit d'un écosystème complexe dont la diversité biologique, personnelle, culturelle et religieuse est indispensable à la vie. Toute atteinte portée à cette diversité, comme celles aujourd'hui préconisées par les fondamentalistes de marché, des scientistes ou des fondamentalistes religieux, constituerait un préjudice irréparable pour la richesse de notre vie collective et réduirait à ce point le champ de nos possibilités que le monde courrait à la catastrophe. A l'instar de la nature, les systèmes économiques, politiques et sociaux crées par les hommes, sont d'une grande complexité. Ils ont tendance à s'autogénérer et restent imprévisibles. Toute volonté de les contraindre à une uniformité artificielle, au nom d'exigences religieuses ou économiques, traduit une méconnaissance tragique de ce qui fonde la richesse de ces systèmes. Parce que nous sommes tous différents, chacun d'entre nous a sa contribution à apporter et chacune de ces contributions compte dans nos systèmes économiques, politiques et sociaux. Seuls nos instincts primaires nous amènent à voir dans la diversité une menace. A une époque telle que la nôtre, où les destins des hommes n'ont jamais été aussi liés, ces instincts sont inutiles. Si de telles différences devaient amener à la guerre, ce serait la défaite de tous les belligérants. Si, au contraire, elles contribuaient à l'enrichissement mutuel, tous y gagneraient."

Les tentatives de centralisation monétaire
franc.jpg- Tous les rois de France ont tenté de limiter le pouvoir monétaire des féodaux, soit par le rachat de ce droit, soit par l'usage de la force. Dans les dernières années du XIII ème siècle, le processus de centralisation monétaire était si bien avancé que le nombre de monnaies en circulation dans le royaume était déjà considérablement réduit: il en a résulté une récession économique massive qui dura près d'un siècle et demi et qui s'est accompagnée, au début du XIV ème siècle, des premières grandes famines. La population en a été à ce point affaiblie qu'elle n'a pas pu résister à la vague de peste noire.

Importance de la vitesse de circulation de la monnaie: (équation de Fisher)
E=QV
où E est l'activité économique, Q la quantité de monnaie en circulation et V sa vitesse de circulation. En ce moment si je comprends bien V diminue et les états jouent sur le "Q" en créant de la monnaie ... et de la dette pour essayer de rétablir E.

A propos de la crise :
...une des conséquences immédiates sera que la disponibilité des finances provenant du système bancaire va se rétrécir pendant une période plus longue que quiconque le désire, ce qui posera des problèmes de croissance - et même de survie - dans la plupart des secteurs productifs. Comme ce sont là des messages que ni les banquiers, ni les hommes politiques, n'ont évidemment, intérêt à annoncer, il vaut mieux rester un peu sceptique quand chaque amélioration temporaire est annoncée comme la "fin de la crise"... En effet, les gouvernements adorent la croissance parce qu'elle les dispense de devoir s'attaquer au problème épineux de l'inégalité des revenus. Comme l'expliquait Henry Wallich, gouverneur du Federal Reserve des Etats-Unis de 1974 à 1986: "la croissance est un substitut à l'égalité des revenus. Tant qu'il y a de la croissance, il y a de l'espoir, et cela rend tolérables les grands écarts de revenus." Tout cela rend plus urgente encore l'introduction de solutions nouvelles comme celle des monnaies régionales, qui permettent de s'attaquer à ces problèmes de façon plus ciblée que les méthodes traditionnelles.

Le principe de complémentarité :
il est relativement nouveau en économie, contrairement à ce qui est le cas en dans d'autres disciplines comme la physique, la biologie, la psychologie ou la philosophie, où sa conceptualisation est plus ancienne et son usage plus répandu. ... Les monnaies complémentaires remplissent des fonctions que les monnaies officielles ne sont pas en mesure de remplir ou qu'elles ne remplissent que partiellement.

Connecter des besoins insatisfaits avec des ressources sous-utilisées: (cela me fait penser aux restos du coeur)
Toute personne sans activité souhaitant proposer son savoir-faire est une ressource. (idem pour les places vides d'une salle de cinéma)
"Comme le pense l'auteur américain JP Barlow, qui se bat pour l'extension des droits civiques sur le cyberespace et s'est beaucoup intéressé aux modèles du futur, les relations seront beaucoup plus importantes dans l'économie du futur que la possession des biens eux-mêmes."

Georg Simmel (philosophe allemand):
"Les questions monétaires sont importantes non seulement pour des questions d'inflation ou de déflation, de taux de change fixes ou flottants, d'étalon-or ou de papier monnaie, mais elles déterminent aussi le type de société dans laquelle cet argent va opérer.

L'ère post-industrielle:
Elle va changer beaucoup de règles du jeu économique mondial. Ce n'est pas parce qu'un pays était parmi les plus "développés" au XXè siècle qu'il le sera également au XXIè siècle. Ainsi, quand la Chine refusa au XIXè siècle l'introduction des chemins de fer et les autres attribus "barbares" de l'industrialisation, elle se condamna de manière involontaire à devenir le plus grand pays sous développé du XXè siècle, erreur qu'elle est en train de rattraper seulement maintenant... La manière dont une société permettra ou non aux innovations de l'ère de l'information de pénétrer les divers strates de la société, de façon à la réformer, promet de jouer exactement le même rôle que les chemins de fer ou les aciériesdu XIXè siècle.

Le système WAT:(Japon)
Il n'est pas géré par un serveur: il n'y a pas, dans le système WAT, d'ordinateur central qui enregistre l'ensemble des transactions. Le modèle WAT est plutôt géré suivant le modèle peer to peer, dans lequel plusieurs ordinateurs administre le système au même niveau... il n'y a pas de bureau central, pas de coordination, donc pas de contrôle centralisé du système...même les particuliers ont le droit d'émettre leurs propres WAT, ce qui prouve l'extrême décentralisation du système ... Ce système est intéressant car il crée un réseau de confiance entre les membres... compte tenu de sa nature très décentralisée, le système s'étend rapidement dans tout le pays: on ne sait pas précisément combien de personnes sont effectivement membres. La création des tickets WAT figure parmi les méthodes de création monétaire les moins onéreuses.

220px-Joseph_Stiglitz.jpgJoseph Stiglitz:
"Lors des récessions précédentes, le débat typique entre experts était de décider s'il s'agissait d'une récession en forme de V (c'est à dire dure mais courte) ou en U (c'est à dire moins grave mais longue). Aujourd'hui, l'économie est entrée dans une récession qui se décrirait plutôt en forme de L. Elle est tombée bien bas, et va probablement rester à cette place encore longtemps ..."

Efficacité et résilience d'un écosystème:
On a prouvé rigoureusement que la nature n'optimise pas l'efficacité dans un écosystème naturel, mais assure une balance optimale entre deux pôles: l'efficacité d'une part, et la résilience de l'autre. Ces phénomènes sont à leur tour fonction de deux variables structurelles: la diversité et le nombre d'interconnections. Mais ces deux pôles sont antagonistes. La résilence augmente avec la diversité et le nombre d'interconnections. En revanche, l'efficacité est améliorée quand on réduit la diversité et qu'on élimine les connections moins importantes. Toutes ces variables ont pu être quantifiées dans les écosystèmes naturels. De plus, on a pu constater que, dans tout écosystème durable, la résilience est presque deux fois plus importante que l'efficacité... Les recherches sur les réseaux d'écosystèmes expliquent parfaitement pourquoi un système où l'efficacité a été poussée sans tenir compte de la résilience, est comdamné à s'écrouler.

William S Desmonde (anthropologue):
"La monnaie symbolisait la réciprocité entre les gens, ce qui les connectait émotionnellement avec leur communauté. La monnaie était à l'origine un symbole de leur âme."